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L'industrie de la défense ne donne pas la sécurité


Faciliter la recherche et l’innovation technologique de la défense, planifier les achats en commun, développer la mobilité militaire… c’est bien. Inciter les pays, les industriels, les instituts de recherche à coopérer entre eux, ce peut être souhaitable. Mais cela ne fait pas en aucune façon une Europe de la défense. Et c’est même dangereux, si cela devient la seule piste d’évolution.

Un déficit d’investissement inéluctable

Qu’il y ait un déficit de financement de la défense en Europe dans les États membres, c’est un fait, un fait inéluctable. Que l’industrie européenne soit clairsemée, fragmentée, c’est aussi un fait. Mais de là à prétendre que cette consolidation industrielle permettra à la fois de consolider la robustesse de l’Europe sur la place mondiale (pour qu’elle ne soit plus seulement un instrument du soft power) et à satisfaire l’opinion publique, il y a un pas qu’il est difficile de franchir. On semble, ici, confondre l’outil et l’objectif.

Que veulent les citoyens européens ?

Certes « la sécurité et la défense européennes figurent en bonne place parmi les priorités des citoyens ». Mais on ne peut pas déduire de cette assertion que les citoyens réclament une industrie de la défense forte, qui exporte des armements de façon dynamique partout dans le monde (1). Ce qu’ils réclament, surtout, c’est de la sécurité. Ils veulent que le jour où il y a une catastrophe (humaine, naturelle ou technologique) dans le monde, l’Europe arrive groupée à la rescousse de ses citoyens. Ils veulent que le jour où il y a une menace quelconque (acte terroriste…), l’Europe puisse réagir non pas de façon dispersée mais organisée. Ils veulent que l’Europe veille à stabiliser son proche voisinage ou les pays avec qui elle entretient de nombreux liens historiques, économiques ou humains (2). Ils veulent pouvoir être fiers de pouvoir dire : « Je suis un Européen ». Dans tous ces désirs, n’apparait pas vraiment la consolidation de l’industrie de la défense.

Des outils déjà disponibles

Pour avoir une capacité de réaction, il faut des outils. Mais ces outils qui manquent aujourd’hui sont parfaitement connus : quelques drones, quelques hélicoptères, une ou deux antennes médicales, un peu de transport stratégique, du renseignement et de l’imagerie satellitaire, etc. Certains d’entre eux sont assez basiques et sont déjà disponibles soit dans les armées, soit sur le marché (européen), il suffit d’investir et de les acquérir mais, surtout, d’avoir la volonté, et la possibilité, de les utiliser ensemble. Quand on regarde de près les lacunes existantes dans certaines missions / opérations européennes : soutien médical, communication sécurisée cyber, des spécialistes des marchés publics ou des officiers parlant français (3), on est loin du high tech !

Une atonie des missions et opérations de maintien de la paix

De la même façon, l’atonie existante dans les missions et opérations de maintien de la paix de l’Union européenne ne tient pas au manque de capacités. Une telle atonie est exceptionnelle depuis le lancement de la politique européenne de sécurité et de défense. En quatre ans, depuis le début de la Commission Juncker en 2014, une seule opération lancée : l’opération Sophia — qui est davantage une opération de protection des frontières, qu’une opération de maintien de la paix — et une mini-mission de conseil en Iraq. C’est faible ! alors que le rythme antérieur était d’une ou deux missions lancées par an.

Le nombre de missions actuellement déployées (seize) ne doit pas faire illusion. La moitié d’entre elles sont en mode d’auto-justification plutôt qu’en mode de réelle utilité sur le terrain (4). L’Europe est absente dans le règlement des crises en Birmanie, en Colombie, au Yémen. Idem en Afrique, pour soutenir l’opération française Barkhane. Même dans les opérations de l’ONU type Minusma, les Européens arrivent en ordre dispersé, au lieu de fournir un contingent en tant que tel. Ces absences sont autant de signes de la faiblesse européenne qui sont analysés en tant que tel par les autres acteurs mondiaux.

Une insatisfaction possible

Si, demain, l’Europe dépense 1,5 milliard d’euros par an pour la recherche de défense — comme va le proposer ce mercredi la Commission européenne –, et qu’elle reste incapable d’agir de façon coordonnée, décisive et rapide (comme aujourd’hui), elle ne remplira pas l’objectif demandé par les citoyens.

Au contraire. Elle générera une insatisfaction qui brisera une certaine unanimité et se retournera contre ses concepteurs avec l’argument : pourquoi dépenser de l’argent de façon inutile ? Les attentes sont nombreuses, veillons à ne pas les décevoir.

(Nicolas Gros-Verheyde)

(1) Outre les commandes d’État, l’exportation est un des vecteurs d’équilibre de l’industrie de la défense. La consolidation d’une industrie européenne de défense ne peut difficilement se faire sans cet élément qui ne suscite de consensus ni dans les opinions européennes ni dans les gouvernements.

(2) Il y a sur ce point une quasi-unanimité des Européens de droite et de gauche, en passant par le centre, les Verts, pour l’extrême droite.

(3) Un problème sérieux au point qu’une note interne du service européen pour l’action extérieure (SEAE) y a été consacrée.

(4) Depuis des années, B2 observe ce qui se passe dans les missions et opérations de la PSDC. Rassembler les informations, intéressantes, sur ce qui se passe dans les missions/opérations est une tâche ardue. Nombre d’informations disponibles concernent des inaugurations, remises de médailles, visites officielles. On est davantage dans l’activisme que dans l’activité.

https://www.bruxelles2.eu/2018/05/02/europe-de-la-defense-attention-a-ne-pas-confondre-lobjectif-et-les-outils-attention-a-ne-pas-decevoir/

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