Au sein de la Royal Navy, pour lutter contre la déformation d’une cloison due à une voie d’eau à bord d’un bâtiment, l’épontillage bois lors des exercices de sécurité à bord des navires est toujours en vigueur alors que, pour la Marine nationale, l’épontillage est hydraulique. Ce type de détail illustre les difficultés à surmonter pour arriver à former une « armée européenne », que le président Macron a sorti de son chapeau la semaine passée, sans donner plus de détails sur ce qu’il entendait par là.
Pensait-il à l’Initiative européenne d’intervention (dont d’ailleurs fait partie le Royaume-Uni, qui s’apprête à quitter l’UE), qui, lancée par la France, vise à favoriser l’émergence d’une culture stratégique commune et à créer les conditions préalables à des engagements militaires préparés et coordonnés entre les dix pays signataires? Ou bien avait-il en tête l’idée d’une « armée européenne » commune aux membres de l’UE, c’est à dire « fédérale », comme cela est régulièrement proposé par ceux qui n’ont une vague idée des réalités militaires?
En tout, et après de nouvelles critiques du président américain, Donald Trump, à l’égard de son homologue français, la chancelière allemande, Angela Merkel, a repris cette idée d' »armée européenne » lors d’un discours prononcé le 13 novembre au Parlement européen.
Dans un premier temps, Mme Merkel a plaidé en faveur d’un « Conseil de sécurité européen » afin de renforcer la politique extérieure de l’Union européenne.
« J’ai proposé la constitution d’un conseil de sécurité européen avec une présidence tournante au sein de laquelle des décisions importantes pourront être plus rapidement prises », a en effet déclaré la chancelière allemande, qui a également estimé qu’il ne fallait plus appliquer la règle de l’unanimité dans ce domaine afin de permettre à l’UE d’agir plus facilement sur la scène internationale.
Puis Mme Merkel a appelé à « élaborer une vision nous permettant d’arriver un jour à une véritable armée européen. Puis elle a incrit ses propos dans ceux tenus il y a quelques temps par Jean-Claude Juncker, le président de la Commission européenne, en affirmant qu’une « armée commune européenne montrerait au monde qu’entre pays de l’Union, il n’y aurait plus jamais de guerre. Elle ne serait pas dirigée contre l’Otan, mais elle la compléterait sans jamais remettre en cause le lien. »
La veille, le secrétaire général de l’Otan, Jens Stoltenberg [dont le pays, la Norvège, ne fait pas partie de l’UE, ndlr], avait dit « saluer les efforts renforcés de l’Union européenne en matière de défense […] parce que c’est une bonne chose si les alliés européens ont plus de capacités, s’ils travaillent plus étroitement ensemble ». Mais d’ajouter dans la foulée : « Ce dont nous ne nous félicitons pas, c’est que l’UE commence à développer des structures en double. »
« La réalité est que nous avons besoin d’une structure de commandement forte et compétente, nous ne pouvons pas diviser ces ressources en deux », fit alors valoir M. Stoltenberg, visant probablement l’Initiative européenne d’intervention.
« Ce ne serait pas une sage décision de la part des pays membres des deux organisations [UE et Otan, ndlr] de disposer de deux ensembles de structures de commandement ou de faire double emploi avec ce que fait l’Otan », avait ensuite poursuivi M. Stoltenberg. Et de conclure : « Plus d’efforts européens en matière de défense, c’est bien, mais cela ne doit jamais saper la force du lien transatlantique. »
Cela étant, Mme Merkel n’a pas donné la marche à suivre pour arriver à cette « armée européenne », si ce n’est qu’elle a mis l’accent sur le capacitaire (et non pas sur l’opérationnel) en proposant le développement commun d’armements (ce qui fait déjà l’objet du Fonds européens de Défense et de la coopération structurée permanente) et la mise en place d’une « politique commune d’exportation des armes »… Ce qui est loin d’être gagné quand l’on pense aux divergences entre Paris et Berlin sur ce point. Donc, le capacitaire avant l’opérationnel…
Quoi qu’il en soit, l’idée de créer une « armée européenne commune » revient maintenant régulièrement dans le débat, en faisant fi des réalités qui en font d’autant plus une chimère que les États de l’Union peinent de plus en plus à s’entendre entre eux. Le cas actuel de l’Italie en est un exemple.
Passé du ministère de la Défense à celui des Affaires étrangères en 2017, Jean-Yves Le Drian avait expliqué en quoi une « armée européenne » était impossible en l’état actuel des choses, lors de l’inauguration de la chaire « Grands enjeux stratégiques », à La Sorbonne, en janvier 2016.
« L’Europe a moins besoin d’une ‘armée fédérale’ imaginaire, développée par certains comme une fuite en avant, que de solidarité concrète entre ses membres, y compris sur le plan militaire » et « c’est aux États qu’il appartient en premier d’entretenir une défense forte, et c’est aux plus importants d’entre eux de montrer la voie en Europe », avait en effet affirmé M. Le Drian, en précisant qu’il s’agissait là d’une « conviction inébranlable ».
Et tant qu’aucune réponse ne sera apportée pour savoir quelles seront les responsabilités politiques, la chaîne de commandement et les règles d’engagement, parler d’une « armée européenne » revient à avoir la même utilisé qu’un ventilateur : en clair, on ne fait que brasser du vent.
Responsable de la Revue stratégique qui a servi à l’élaboration de la Loi de programmation militaire 2019-25, le député européen (LR) Arnaud Danjean estime que le « premier problème est d’ordre politique ou philosophique » car une « armée se bat pour défendre des valeurs, une institution » et, pour cela, « on n’a pas trouvé mieux que la nation jusqu’ici. » Se pose aussi la question du modèle de cette « armée européenne ». Sera-t-il français ou allemand? Ou sera-t-il le fruit d’un compromis qui la rendra inefficace?
Ancien chef d’état-major des Armées [CEMA], le général Pierre de Villiers, qui fait actuellement le tour des médias pour son nouveau livre « Qu’est-ce qu’un chef ?« , a résumé les difficultés de cette « armée européenne ».
Si cette dernière « consiste à juxtaposer des forces, à les fusionner et à en faire des unités de combat aux ordres d’un état-major hypothétique à Bruxelles, je vous dis : Impossible! Et le rêve se transformera en cauchemar. Il ne faut pas tuer la belle idée européenne (…), mais il faut que cette Europe forte se construise sur les souverainetés des nations dans une souveraineté française, interétatique, à géométrie variable », a expliqué le général de Villiers à l’antenne de BFMTV.