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Coalition: La fin de l’exception française ?


Pour la première fois depuis l’instauration de la 5ème république, les français n’ont pas donné au président nouvellement élu une majorité parlementaire. La logique du scrutin majoritaire qui prévalait jusqu’à maintenant dans le système présidentiel à la française unique en Europe, vient de craquer, comme un tabou qui tombe en Europe.


La formation de coalitions est bien la norme et la pratique dans l’Union Européenne depuis longtemps, sauf en France. Comment pourrait-elle encore discuter et être crédible auprès de ses partenaire dans l’Union sans cet esprit d’ouverture et de compromis que tous ses partenaires partagent et qui est le fondement même de la construction européenne? Il est grand temps que la France abandonne son exception en matière de gouvernance et s'initie à l'art du compromis à l’européenne.



Pour la première fois depuis l’instauration de la 5ème république, les français n’ont pas donné au président nouvellement élu en avril 2022, une majorité parlementaire lors des élections législatives qui ont suivi en juin 2022. Les réactions de la presse et des médias français sont à la hauteur de la rigidité des esprits et des pratiques politiques françaises qui ne connaissent ni ne tolèrent le « compromis » ou la « coalition », pourtant la norme partout ailleurs en Europe. C’est véritablement une exception française, une de plus, qui éclate au grand jour. Florilège non exhaustif, qui serait amusant si il n’était pathétique:


« La gifle » (Libération 20 juin 2022) « Macron dépassé » (Libération 23 juin 2022), « Le fantôme de Matignon » (Libération 24 juin 2022), « Le président relatif » (L’OBS, 23 juin 2022), « Les secrets d’une fin de règne, majorité en déroute, réformes condamnées, oppositions en embuscades: après l’arrogance, le roi est nu » (Valeurs, 23 juin 2022), « Hors d’Etat de nuire? » (Marianne, 23 juin 2022), « Grandes manoeuvres et petits coups tordus » (Marianne, 30 juin 2022), « Macron va-t-il pouvoir gouverner? » (Le Journal du Dimanche, 19 juin 2022), « Fin de régime » (Politis, 23 juin 2022), « Macron en minorité, Réformer avec qui? » (Challenges, 23 juin 2022), « Les coulisses d’une catastrophe » (L’Express, 23 juin 2022)..


Pourtant, il y a bien eu dans le passé « cohabitation » en France, mot qui décrit, autant qu’il dénonce, une période politique pendant laquelle le Président de la République et la majorité des députés sont de tendances politiques opposées. En 1986 et en 1993, le président français François Mitterand désignait respectivement Jacques Chirac et Edouard Balladur au poste de premier ministre. Situation exceptionnelle au regard de la constitution française de 1958, qui est taillée pour fonctionner avec une présidence disposant d’une majorité parlementaire, elle était tolérée à l’époque comme une anomalie constitutionnelle dont le défaut principal tenait dans le partage ambigu des responsabilités. Il fallait faire « cohabiter » ou « coexister » un Président de la République qui pouvait continuer de « fixer les grandes orientations de la politique de la nation » (1), avec un chef de gouvernement représentant la majorité parlementaire dont il était issu, qui « détermine et conduit la politique de la nation »(2). Ce qui relevait du compromis gouvernemental habituel partout ailleurs en Europe (sauf en Grande Bretagne), était considéré à l’époque en France comme un affaiblissement de la primauté présidentielle dont les pouvoirs se voyaient limités alors temporairement aux fonctions régaliennes; Défense, Affaires étrangères et Justice.

En 2000, la constitution fut réformée par référendum pour remplacer le septennat, pendant lequel le parlement avait le temps de changer de majorité sous une même présidence, par le quinquennat, sensé synchroniser les élections législatives avec les élections présidentielles pour refléter les tendances politiques du moment. On faisait ainsi rentrer les élections des français dans le cadre présidentiel de la constitution de la 5ème république.

La situation de 2022 est donc inédite. Les élections législatives qui ont suivi l’élection présidentielle, sans renier le vote qui a attribué une large victoire (58,55%) au centriste pro-Européen Emmanuel Macron, viennent de le priver de la majorité absolue dont il avait besoin pour présider « à la française ». Bien qu’inédite, la situation était attendue, au vu du taux d’abstention à l’élection présidentielle (28%) qui s’approchait du record du 1969. Et de fait, comme en 2017, l’abstention était à nouveau le premier parti politique en France au second tour des élections législatives cette année 2022 avec 46% !


Certains crient déjà au retour du chaos politique de la 4ème république et de sa malheureuse instabilité gouvernementale « Au secours, René Coty est de retour! ». Effectivement, plus de 22 gouvernements se sont succédé de 1947 à 1958. On oublie de rappeler que la France était confrontée aux graves désordres de l’après guerre et aux difficultés de la reconstruction, ainsi qu’aux problèmes coloniaux, ce qui ne pouvait que provoquer de fortes turbulences politiques. On oublie aussi de rappeler qu’à cette époque, la France se dota d’une planification et de programmes nucléaires civils et militaires, programmes remarquablement stables s’il en est, et qu’elle s’engagea dans la voie de sa modernisation et de celle de l’Europe communautaire. Enfin, on oublie de rappeler que la 4ème république fut aussi celle des longévités ministérielles exceptionnelles, malgré les remaniements gouvernementaux successifs, comme celle de Robert Schuman qui fut ministre des affaires étrangères pendant plus de 4 ans et membre du gouvernement pendant 6 ans.


Si la France n’est pas habituée aux alliances gouvernementales, en revanche la majorité des pays en Europe le sont depuis longtemps. Aujourd’hui dans l’Union, 19 pays sur 27 sont gouvernés par des alliances entre partis, parmi lesquels 3 sont même minoritaires, en Espagne, au Danemark et en Suède. C’est l’unité nationale en Italie autour de Mario Draghi, une alliance de gauche en Espagne, une coalition « tricolore » en Allemagne qui cultive religieusement la culture du compromis depuis le dernier gouvernement majoritaire unique du IIIè Reich, 7 partis politiques sont au pouvoir en Belgique, et les pays scandinaves, Suède, Finlande et Danemark, gouvernent avec des alliances.


« L’Europe est peuplée de gouvernements sans majorité » constate Stéphane Séjourné, président du groupe libéral Renew au Parlement européen. Il estime à juste titre que les députés français vont devoir comme leurs homologues européens « apprendre à construire du compromis » (3).


La construction européenne elle-même ne progresse que par l'élaboration de compromis, que ce soit au niveau du Parlement Européen - où il n'existe pas de majorité stable mais où elle se constitue au cas par cas en fonction des thèmes soumis au vote - ou à celui du Conseil des Ministres où des gouvernements de tous bords doivent trouver un terrain d'entente sur les sujets les plus variés.


La formation de coalitions est bien la norme et la pratique dans l’Union Européenne depuis longtemps, sauf en France. Comment pourrait-elle encore discuter et être crédible auprès de ses partenaire dans l’Union sans cet esprit d’ouverture et de compromis que tous ses partenaires partagent et qui est le fondement même de la construction européenne? Il est grand temps que la France abandonne son exception en matière de gouvernance et s'initie à l'art du compromis à l'européenne.


Sources:

(1) https://www2.assemblee-nationale.fr/decouvrir-l-assemblee/role-et-pouvoirs-de-l-assemblee-nationale/les-institutions-francaises-generalites/le-president-de-la-republique

(2) Art 20 de la Constitution

(3) Le Monde, 22 juin 2022


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