Les Pays-Bas vécus par un résident français, à Wassenaar, région Hollande du Sud, La Haye.
Le parti d’extrême droite PVV aux Pays-Bas vient d’arriver en tête des résultats des élections législatives de novembre 2023. Les média français, habitués au régime majoritaire présidentiel à la française, et avides de sensationnalisme, ne présentent pas l’évènement dans le contexte d’élections proportionnelles propres à un régime parlementaire tel que le connaissent les Pays-Bas depuis des générations. Ils négligent la nécessité de former une coalition gouvernementale qui implique nécessairement des compromis, et surtout, ils ne rapportent pas l’inflexion notoire du programme du parti PVV pour ces élections, qui a abandonné ses dogmes extrémistes pour s’occuper de 3 crises majeures qui affectent aujourd’hui le quotidiens de la population.
Les changements récents
L’année 2023 aux Pays-Bas aura été marquée par un changement à mes yeux. Presque tous mes collègues de travail, et surtout mes relations et mes connaissances, qui d’habitude n’affichaient pas d’opinion politique marquée dans ce pays tolérant vis à vis des communautés d’origine étrangère, se sont mis à se plaindre et à critiquer les comportements et les moeurs des immigrés et des demandeurs d’asile. Et ce spontanément, sans que je n’aborde le sujet. Ils le faisaient en voyant des situations autour d’eux, dans leur vie de quartier. Le changement d’opinion a été d’autant plus frappant qu’il émanait de personnes non politisées et non militantes, de caractère généralement discret, et surtout, typiquement néerlandaises, c’est à dire ne voulant jamais sortir du lot, mais plutôt rester « normal » («gewoon ») sans jamais chercher à se distinguer.
Les résultats surprise des élections législatives de novembre 2023
Ce mois de novembre 2023, les résultats des élections législatives, visant à remplacer le cabinet démissionnaire de Mark Rutte, viennent de provoquer un séisme politique en conférant au parti PVV, traditionnellement d'extrème droite, le statut de premier parti politique aux Pays-Bas.
Le parti d’extrême droite PVV n’a rien gagné pour le moment. Il arrive en tête au classement des sièges obtenus (37), loin derrière la majorité de sièges (76) qu’il faudra à la future coalition pour être majoritaire au sein du parlement qui en compte 150 en tout. Geert Wilders, le patron du PVV, doit donc trouver encore 39 sièges supplémentaires pour former la coalition et pouvoir gouverner. C’est à dire qu’il sera minoritaire, ou à égalité, au sein de sa propre coalition.
Aux pays des élections à la proportionnelle et des coalitions gouvernementales, le parti qui arrive en tête des élections est encore loin de pouvoir gouverner. Si il le fait, cela sera au prix d’une coalition, au sein de laquelle il ne sera pas majoritaire, et des compromis qui en résulteront. Bien sur en France, la nouvelle de la « victoire » (relative) du PVV aux Pays-Bas est mise en scène pour faire sensation. Elle est analysée au prisme du régime électoral majoritaire à la française, et de son absence notoire de la pratique de la coalition.
Le nouveau programme adouci et crédible de l'extrème droite
Le PVV parti d’extrême droite n’est pas arrivé en tête des élections en jouant sur son programme extrême et provocateur traditionnel, qui lui assurait son fond de commerce quand il était dans l’opposition et critiquait à tout va sans n’endosser aucune responsabilité. Au contraire, le PVV a provoqué l’adhésion en abandonnant explicitement ses thèmes caricaturaux d’exclusion et d’islamophobie, comme l’interdiction du Coran, du voile islamique ou la fermeture des mosquées. Il a choisi des problèmes très concrets auxquels la société néerlandaise est confrontée depuis quelques années, à savoir une crise du logement aigüe et des problèmes dans le système de santé, en particulier les soins concernant les personnes âgées atteintes de démence. Les attaques caricaturales contre l’Union européenne sont également reléguée hors du programme, pour permettre au parti de ne plus se limiter au rôle stérile de l’opposant, mais bien d’endosser l’attitude responsable d’un parti politique qui veut prendre en main les problèmes quotidiens des Néerlandais.
Les 3 crises perçues
Crise du logement
Depuis quelques années, les Néerlandais, en particulier les étudiants et les jeunes actifs commençant à travailler, n’arrivent plus à se loger. La situation est devenue critique, au point de susciter le ressentiment à l’encontre des demandeurs d’asile et des immigrants qui y accèdent. La professeur de langue d’une amie, qui donne des cours de langues à des réfugiés, souvent analphabètes, s’indigne elle même de la différence de traitement dont souffre son voisinage. Elle s’offusquait il y a quelques semaines qu’une famille syrienne de 4 enfants, avec une mère analphabète et un mari qui ne travaillait pas, ait pu obtenir une maison familiale dans son village près de Leiden, où tant de jeunes actifs cherchent désespérément à se loger. Elle se disait choquée qu’un autre logement dans le quartier, qui aurait pu aider un jeune couple de locaux, fut attribué à une femme arrivant de Mongolie vivant seule avec son enfant et sans travail. Depuis quelques années, les locaux, en particulier les étudiants qui doivent abandonner leurs cursus faute de pouvoir se loger, se sentent moins bien traités que les demandeurs d’asile. Les habitants sont aujourd’hui poussés à la pratique de la co-location à plusieurs dans un même logement. Bien sûr, il faudra plus à la coalition gouvernementale que la limitation de l’immigration pour résoudre le manque criant de logements.
Les soins pour personnes âgées
La santé préoccupe aussi beaucoup la population qui éprouve des difficultés à gérer le sort des personnes âgées, en particulier celles atteintes de démence. Il s’agit d’un problème humain et pratique que les Néerlandais n’aime pas laisser sans réponse et sans mesures efficaces. Il ne s’agit pas de dogme politique mais d’une situation à résoudre.
Hausse de l’immigration et comportements inappropriés dans la vie en société
Le troisième sujet de préoccupation est celui du comportement des individus qui ne respectent pas les règles de la vie en communauté. Si il y a un principe qui est érigé en pierre angulaire de la société néerlandaise, c’est celui du « vivre ensemble » (« Samenleving ») qu’il s’agit de préserver et de cultiver à chaque instant. Chacun dans sa communauté peut vivre avec ses traditions et ses moeurs d’origine, pourvu que le fonctionnement harmonieux de la vie en société ne soit pas menacé. Les Néerlandais attachent la plus haute importance à une vie équilibrée en communauté, suivant le principe d’un bon "vivre ensemble » érigé en règle quasi-constitutionnelle. Les bons rapports humains dans la communauté, faits de tolérance, d'assistance, de respect et de pacifisme, sont érigés en loi cardinale de la vie en société. Hors, depuis plusieurs années, les incivilités et les comportements non respectueux du mode de vie à la néerlandaise sont de plus en plus mal perçus.
Mon collègue du club d’escrime habitant à La Haye, me faisait récemment part des changements de comportement sur la route et dans la rue, qu’il jugeait irrespectueux et offensants, de la part des communautés d’origine maghrébine. En bon Néerlandais, il m’expliquait qu’il devait sans doute s’adapter à la nouvelle situation, mais il ajoutait avec regret que « eux ne cherchent pas à s’adapter et à s’assimiler ».
Mon voisin, ancien fonctionnaire du ministère des affaires étrangères, ayant passé le plus clair de sa vie professionnelle dans des pays musulmans, à Jakarta en Indonésie, avait éprouvé être « étranger en son propre pays » lorsqu’il était rentré il y à quelques années pour sa retraite. Cette sensation de perte des repères culturels a été rapportée par Martin Bosma, homme politique et journaliste, dans son livre « En minorité dans mon propre pays » en 2015.
Ces comportements et cette mentalité étrangère à la culture néerlandaise, qui viennent frontalement perturber la société, ne passent plus aux Pays-Bas.
Conclusion
Pour conclure, je vous livre la correspondance que j’ai eue à ce sujet avec un ami néerlandais, Fred, habitant Rijswijk près de la Haye. En quelques lignes, tout est dit:
« Tout d’abord, je dois dire que je ne m’intéresse généralement pas beaucoup à la politique.
Cependant, je t’ai dit la dernière fois que je remarque que les comportements, surtout dans la circulation, se durcissent et que les conducteurs font souvent des choses qu’ils ne faisaient point auparavant, ou qui étaient beaucoup moins fréquentes. Je pense que cela est dû à l’influence de personnes non occidentales.
En fait, je n'ai pas trouvé le résultat des élections surprenant. Comme tu le sais peut-être, le gouvernement actuel est tombé à cause du problème de l’immigration et du fait que l'afflux d'étrangers a un effet de plus en plus néfaste sur une partie croissante de la population néerlandaise, notamment en ce qui concerne le problème du logement. Ce problème du logement signifie pour beaucoup qu'ils sont sur une liste d'attente pendant une longue période (parfois des années), tandis que certains immigrés sont parfois aidés à accéder plus tôt à un logement.
De nombreux Néerlandais souhaitent une politique différente de la part du gouvernement et cette fois, les gens ont voté beaucoup plus à droite, afin de pouvoir imposer une politique différente. Le fait que le PVV soit sorti vainqueur des élections a également créé un problème supplémentaire pour lui-même, car il se rend compte qu'il doit clairement ajuster sa propre politique pour rendre possible une coalition avec d'autres partis. Ils ont déjà considérablement affaibli leur politique. C'est déjà très clair.
Pour beaucoup, la question de savoir si une coalition avec d’autres partis réussira est très importante. Quoi qu’il en soit, nous en entendrons beaucoup parler dans les médias dans un avenir proche. Espérons que ce qui précède apporte un peu plus de clarté sur ce qui et pourquoi ces changements se produisent actuellement en politique. »
Christophe Carreau, Wassenaar, La Haye, Novembre 2023
Merci pour cette analyse precise et rigoureuse. Vivant aux Pays-Bas, je n'ai rien à ajouter!